Les EHPAD et les autres établissements médico-sociaux (notamment ceux accueillant des personnes handicapées) sont des lieux de vie. Le projet de l’établissement et donc de l’ensemble des professionnels est d’offrir aux résidents une « aide active à vivre » jusqu’à la fin de leur vie. L’aide à mourir est contraire à ce projet, car elle n’est pas un soin.

Leur projet prioritaire est d’améliorer l’accompagnement des personnes à la fin de leur vie. La présence d’équipes mobiles de soins palliatifs est donc indispensable à proximité afin qu’elles puissent venir en appui aux professionnels des établissements. Ceux-ci ont besoin d’être formés, afin d’être de plus en plus imprégnés de la culture des soins palliatifs. Il en est de même des médecins traitants qui interviennent dans les établissements (particulièrement en EHPAD). Ces formations doivent être financées par les pouvoirs publics.

Les équipes des établissements constatent en effet quotidiennement que les dispositions législatives et réglementaires existantes sont trop mal connues : on considère encore souvent que la sédation profonde et continue jusqu’au décès est une euthanasie déguisée, que la lutte contre la douleur est refusée par les opposants à l’euthanasie, que l’obstination déraisonnable est une pratique souhaitée par ces mêmes opposants.

Aussi nous parait-il absolument nécessaire de promouvoir fermement la mise en œuvre des dispositifs déjà existants avant d’en imposer d’autres.

De ce fait, et dans un souci de cohérence intellectuelle et de clarté, il apparait fondamental de DISSOCIER la question du développement des soins palliatifs de la question de l’AIDE A MOURIR… « Abriter » cette dernière derrière le développement des soins palliatifs relève d’un « non choix ». Le développement des soins palliatifs prendra des années quand la mise en œuvre de l’aide à mourir (euthanasie ET suicide assisté) sera immédiate !!!

Les établissements constituent de vraies communautés de vie entre les résidents, les familles, les professionnels et les bénévoles, entre lesquels les liens sont généralement très étroits. Comme dans une grande famille, chaque décès est un moment partagé de tristesse et de peine.

Dès lors, la pratique de l’aide à mourir dans ces établissements serait une source de troubles profonds et de conflits. Les résidents, qui sont tous des personnes particulièrement vulnérables, s’inquièteraient inéluctablement d’apprendre que leur voisin de chambre, de table ou d’activité s’est suicidé ou a été euthanasié. Les professionnels du soin étant majoritairement hostiles à l’aide à mourir, des tensions importantes se créeraient entre eux alors qu’un bon accompagnement des personnes suppose au contraire la cohérence de l’équipe. Ces inquiétudes, ces craintes, ces tensions et même ces conflits se répercuteraient sur les familles et les bénévoles. 

Pour toutes ces raisons, l’aide à mourir ne peut pas être pratiquée dans leurs établissements ou, du moins, faut-il que les établissements puissent refuser qu’elle soit pratiquée dans leurs locaux. Le résident qui souhaiterait néanmoins bénéficier d’une aide à mourir pourra bien évidemment y accéder, mais dans d’autres lieux offrant cette possibilité.

Si le projet de loi devait être voté, il serait nécessaire que les EHPAD et autres établissements sociaux et médico-sociaux privés puissent refuser que l’aide à mourir soit pratiquée dans leurs locaux.

La note à télécharger ci-dessous explicite cette position.

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Contrairement à ce que prévoit le projet de loi, l’aide à mourir ne peut pas être mise en oeuvre dans un établissement social ou médico-social. La loi ne doit donc pas permettre qu’un médecin ou un infirmier, qu’il soit salarié de l’établissement ou extérieur à celui-ci, puisse intervenir dans ses locaux afin d’aider un résident à mourir.

Plus précisément, le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vieprévoit que :

Si la loi doit être votée par le Parlement, il est indispensable que les organismes gestionnaires des EHPAD et autres établissements sociaux et médico-sociaux privés puissent refuser que l’aide à mourir soit pratiquée dans leurs locaux.

Le Docteur Jean-Marie  GOMAS est ancien médecin généraliste, PH gériatre en CHU, médecin de la douleur, médecin de soins  palliatifs. Il a été invité à s’exprimer devant la commission spéciale de l’Assemblée.

Madame la présidente, 

Mesdames et messieurs les rapporteurs 

Mesdames et messieurs les députés,

Merci pour votre invitation à témoigner de mes 37 ans d’exercice médical  pendant lesquels j’ai accompagné des milliers de malades comme médecin généraliste puis comme  médecin hospitalier gériatre responsable d’un centre douleurs soins palliatifs  en CHU.

Je viens exprimer mon immense inquiétude de clinicien , d’enseignant, devant ce projet de loi, qui pour moi  abime ce qu’il y a de plus précieux dans notre système de santé, en faisant fi de l’impact collectif…  sur les patients, sur les soignants et sur l’ensemble de la société.  

Tout d’abord ce projet de loi est confus sur les mots, refusant de nommer l’euthanasie et le suicide assisté alors qu’il s’agit exactement de cela.

Je remercie d’ailleurs monsieur Orsenna d’avoir eu le courage politique de ne pas rendre son rapport sur la re-définition des mots parce qu’on lui demandait une tâche impossible 

Alors que les choses soient claires : 

« aide à mourir » ça ne veut tout dire et rien dire  

« aide à vivre », c’est de la médecine 

« aide à bien mourir », c’est de la médecine aussi, c’est le « prendre soin » palliatif de la fin de vie. 

« aide à mourir » pour refuser de dire « euthanasie » ou « suicide assisté », ce n’est pas de la médecine, c’est un choix  de société , c’est vouloir tromper les citoyens .  

Le titre 1 du projet semble inutile : la loi existe déjà !

Cela peut sembler surprenant, pour un spécialiste de soins palliatifs, de refuser ce titre 1 qui parle  « d’accompagnement »,  un bien  joli mot qui voudrait supplanter celui de « soins palliatifs ».

A l’heure actuelle le terme de soins palliatifs est consensuel sur le plan international, et à notre époque c’est un élément essentiel.

Certains disent que le mot fait peur mais l’urgence est justement de faire connaître le monde palliatif ; chaque jour les familles des personnes que nous accompagnons témoignent de leur surprise de découvrir ce qu’il en est.

Mais plus grave encore, le terme d’ « accompagnement » ici proposé ne fait que se substituer à celui de « soins palliatifs »,  reprenant exactement la définition qui en est faite dans la loi de 1999.  Ce n’est pas d’une loi dont nous avons besoin — elle existe et n’est toujours généralisée dans son application — ; mais d’une vraie politique de financement, de personnel formé, de développement des lieux de soins. 

Ce changement de mot du titre 1 n’a que deux objectifs, 

-servir de faire-valoir du titre 2, 

-permettre d’introduire la proposition de la mort programmée dès le début de la prise en charge d’une maladie grave, par le biais du fameux « projet personnalisé d’accompagnement ». qui veut remplacer ce qui existe déjà, le « plan personnalisé de soins » lequel, lui,  reste strictement dans le cadre du soin.

Enfin ce titre 1 prétend  inventer des « maisons d’accompagnements »

Le Pr chauvin lui-même a dit qu’il n’y avait plus  de budget malgré les promesses, par ailleurs nous n’avons pas les soignants, nous n’avons plus de médecins, des postes vacants partout, actuellement des centres de soin palliatif  ferment, des équipes mobiles ne peuvent recruter, des HAD ne peuvent satisfaire les demandes des EHPAD, des médecin généralistes ne font plus de visite à domicile  …  mais  j’ai bien compris que  la mort  programmée des  personne âgées pourra avoir lieu dans ces maisons, avec un aspect d’économie qui reste curieusement passé sous silence.

Analysons les conditions d’accès (chapitre II) de ce qui est appelé l’  Aide à mourir » ( le titre 2 )

Les mots du législateur ne sont pas les mots du clinicien

Mais les critères envisagés par ce projet sont inapplicables et pour la plupart incontrôlables (Art.6)

— « pronostic moyen terme » :   aucun médecin sérieux et compétent ne peut prétendre juger de la fin de vie d’un malade à  6 mois ; ce ne sont que des probabilités régulièrement  mises à mal par l’évolution unique  des patients. Sans parler des effets de seuil qui vont entraîner des débats sans fin   ( article 6) 

— souffrance physique ou psychologique liée à l’affection : ce PJL concerne toute la médecine ! sous le couvert d’une  soit disant « fraternité », tout un chacun va pouvoir être éligible ! (article 6) 

— « choisir d’arrêter son traitement » : si cet arrêt entraîne une souffrance insupportable, nous rentrons dans le cadre de la loi de 2016, avec la possibilité de mise en œuvre d’une sédation profonde  et continue  jusqu’au décès …   (article 6)

Ce qui survient en filigrane dans ce  PJL, c’est un bouleversement complet  du processus de soins : arrêter son traitement permet d’être éligible à la mort programmée.  Cette contradiction a été soulevée par les psychiatres flamands en belgique, qui font observer que le caractère insupportable ne peut être invoqué quand on le rend insupportable, par refus de traitement.

Soigner, ce n’est pas faciliter la mort programmée !

La priorité  actuellement n’est pas d’organiser la mort programmée, c’est de permettre un accès aux soins palliatifs adaptés aux 500 personnes qui meurent tous les jours sans en bénéficier (comme la Cour des comptes l’a souligné )

La procédure (chapitre III  )

Chaque ligne de ces articles est une transgression et me pose problème !! 

— les délais sont à la fois irréalistes et inadaptés :  Ils ne tiennent pas compte des fluctuations d’une personne malade, je pourrais ici citer des milliers d’exemples.

Mais des délais qui ne tiennent pas compte non plus de l’état dramatique du système de soins. Aujourd’hui il faut six mois pour obtenir un rendez-vous avec un médecin de la douleur et le projet de loi propose que la réponse à une demande de mort programmée se fasse en 15 jours ? L’urgence euthanasique n’existe pas ! Une situation de détresse peut-être une indication à la sédation profonde et continue.  

C’est la force et la particularité du modèle français de disposer justement de deux lois que nous sommes les seuls à avoir : la loi de 2005 qui interdit l’acharnement thérapeutique ; et la loi de 2016 qui encadre la sédation profonde et continue. 

 En fait ce PJL est une triple incitation au suicide :

— d’abord par l’annonce du recours possible à la mort programmée dès le diagnostic d’une maladie grave, (titre 1).  L’exemple bien connu de Monsieur Pozzo di Borgo devrait nous faire réfléchir (« si une loi avait existé, je me serais suicidé, mais j’ai été heureux ensuite de vivre ma vie… »)

— ensuite, la participation d’un soignant à chaque étape de la procédure oblige à une pression incompatible avec la notion d’autodétermination mise en avant pour justifier le suicide assisté :

La prise d’un rendez-vous du professionnel fige le passage à l’acte ; ce Professionnel  doit lui-même aller chercher le produit létal à la pharmacie (article 10) (En Oregon 35 % ne prennent jamais le produit prescrit, certains même  ne vont jamais le chercher à la pharmacie)  

— enfin, l’inscription d’une sorte de date de péremption du processus, le PJL  parle de la fixation d’une nouvelle date si il y a report (art  11) avec de nouvelles vérifications  au bout de trois mois la personne ne s’est pas suicidée. ( art 8 ) 

Un tel cumul de facteurs de pression n’existe dans aucun des pays ayant légiféré sur la question.

Comment articuler de telles incitations avec la prévention du suicide ?

Sur un plan pratique, le déroulement de la mort programmée est très problématique

Le projet dit pour un malade qui se suicide, que le médecin  reste  « à proximité suffisante, pour pouvoir intervenir en cas de difficulté » (article 11)

J’ai fait des milliers de visites à domicile, dirigé un service pendant 25 ans, j’enseigne régulièrement en Ehpad   ; pour vous rendre compte de ce que ça donne :  à domicile ou en EHPAD , le médecin attend  dans le salon, derrière la porte, la seringue à la main ?  dans le couloir, dans la salle de bain ? En service hospitalier, c’est dans la salle des infirmières, dans le bureau du médecin ? 

Qu’est-ce qu’il attend pour intervenir ? des bruits, un appel à l’aide ? il attend qu’il y ait le silence quelques minutes pour que le malade soit  surement mort ?   quand revient-il dans la chambre ?

Par ailleurs, ce PJL (article 5) prévoit, pour un patient qui ne serait pas en mesure physiquement de procéder à sa mort, la possibilité de se fait administrer le produit létal « par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qui elle désigne » 

Cette exception se révèle inutile : tous les patients, même paralysés, peuvent se suicider. C’est ce que nous montre la Suisse, en recourant à des techniques simples. Surtout la plupart des patients concernés sont équipés d’une domotique, avec des équipements installés bien avant la fin de vie des malades et qui leur permettraient de déclencher eux même une perfusion mortelle. (l’argument qui prévoit l’exception d’euthanasie dans avis 139 du CCNE pour cette raison, est erroné  ) 

Surtout  aucun pays au monde n’a osé émettre l’idée qu’un proche pourrait être la main qui administre la mort. C’est bien mal connaître les familles : on peut craindre des dissensions et des abus de faiblesses, sans parler   des conséquences transgénérationnelles .

dans ce PJL, l’euthanasie n’est pas une exception,  puisque la loi parle de la présence obligatoire d’un professionnel de santé. !  (article 11 )  

Pour terminer, j’ai 3  proposition  positives à vous faire sur ce PJL 

  1. Appelez un chat un chat : utiliser les bons mots 
  2. Jamais, jamais d’euthanasie ! pour protéger les malades comme les soignants ;  et jamais jamais de participation de la famille à ce geste mortifère !  Notre pays des droits de l’homme ne doit pas devenir le pays de la mort donnée à l’homme
  3. Si la société veut évoluer vers plus d’autodétermination, soit !  

jusqu’à prétendre maitriser  sa propre mort à l’avance, méconnaissant les modifications induites par la maladie et la quasi disparition des demande de mort  … soit ! 

Mais il faut clarifier ce projet de loi, limiter le rôle des soignants, sans rompre la relation de confiance indispensable et ne pas déréguler les soins comme c’est le cas dans le texte actuel. 

Aucun pays au monde n’a réussi à contrôler la dépénalisation de l’euthanasie : tous les critères s’élargissent inéluctablement et l’intention première du législateur disparaît. Certains pays proches, comme l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie, conscients de ce risque, refusent l’euthanasie et maintiennent l’interdit de tuer : seul le suicide assisté y est possible et cette distinction reste essentielle. L’Oregon est le seul État qui depuis 25 ans a vu une relative stabilité de son encadrement. En ayant posé dès le départ des critères vraiment stricts et en n’acceptant que le suicide assisté.

Les Canadiens nous ont montré que les progrès en soins palliatifs s’arrêtent quand il est plus facile d’euthanasier un malade que de se battre pour trouver des solutions personnalisées à des problèmes complexes

Qu’est-ce que je vais transmettre, comme enseignant, à tous les jeunes praticiens qui pourraient —comme au Canada — se réfugier rapidement dans la pratique de la mort programmée   puisque là-bas, la loi oblige les médecins à parler de la mort programmée dès la première consultation de maladie grave ? 

à l’heure actuelle 10% des décès au Québec le sont par euthanasie, ce qui a valu aux médecins un rappel précisant la vieillesse n’était pas un motif suffisant pour pratiquer l’euthanasie…car oui, quelques années seulement après le vote de la loi, non seulement certains critères ont déjà été modifiés par révision de la loi,  mais nombre d’entre eux ne sont pas respectés.

Nous avons encore beaucoup de travail à faire sur ce projet de loi pour le rendre vivable ce qu’il n’est pas le cas pour l’instant. 

Je vous remercie

jean-marie.gomas@orange.fr